Dans un pays où la production de logements s’essouffle, où la rénovation énergétique devient urgente et où l’accès au logement se tend mois après mois, la création d’un statut fiscal du bailleur privé pourrait constituer l’un des tournants les plus structurants de la décennie. Dix ans qu’on l’annonce, dix ans qu’on le repousse ; il entre enfin dans le débat parlementaire. Son enjeu dépasse de loin la seule fiscalité : c’est la capacité du pays à produire et entretenir son parc de logements qui se joue.
I. Un marché locatif en voie de désertification
Depuis la disparition du dispositif Pinel en janvier 2025, la situation s’est brutalement détériorée. Les investisseurs particuliers ont cessé d’alimenter le marché, provoquant un effondrement des ventes dans le neuf. Cette chute n’est pas un simple ralentissement conjoncturel : elle a paralysé des centaines de programmes, mis en sommeil des permis de construire et créé une forme d’attentisme généralisé.
Dans ce paysage, les bailleurs privés, traditionnellement moteurs de la production locative, se sont retirés les uns après les autres. L’accumulation de taxes, de normes et d’incertitudes a rendu l’investissement locatif si peu attractif que de nombreux acteurs ont renoncé. Le résultat, lui, est tangible : moins de logements mis sur le marché, plus de concurrence entre locataires, une tension locative qui s’installe et un parc qui vieillit faute de rénovation.
II. Le paradoxe français : pénaliser ceux qui produisent l’offre
Il existe en France un paradoxe profondément enraciné : nous attendons du bailleur privé qu’il finance une grande partie de la politique du logement, tout en organisant un cadre fiscal et réglementaire qui décourage l’investissement. Le bailleur privé reste pourtant le principal pourvoyeur de logements. Ni l’État, ni les collectivités, ni les opérateurs institutionnels ne pourront compenser son retrait.
Pourtant, depuis quinze ans, la trajectoire est constante : on multiplie les obligations, on renforce l’encadrement, on renchérit les taxes, puis l’on s’inquiète de voir l’offre se tarir. Le marché ne répond pourtant qu’à une logique simple : un risque non rémunéré finit par se retirer. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui.
III. Pourquoi le marché est bloqué ? Parce que le risque n’est plus rémunéré
L’investisseur locatif supporte désormais une charge fiscale parmi les plus lourdes d’Europe, cumulant impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, taxe foncière, imposition sur les plus-values et obligations déclaratives autour des diagnostics ou des performances énergétiques. À cette fiscalité s’ajoute une instabilité permanente : chaque gouvernement modifie le cadre, rendant l’anticipation impossible.
À ces contraintes s’ajoute un élément majeur : la rénovation énergétique. La transformation du parc immobilier est un impératif national, mais elle repose presque intégralement sur les épaules du bailleur, qui doit financer des travaux souvent lourds, coûteux et non amortissables.
Dans un tel contexte, l’investissement locatif devient un pari risqué et faiblement rentable. Il était inévitable que le capital privé se détourne d’un marché où l’effort demandé dépasse largement la rémunération possible.
IV. Le statut du bailleur privé : une réforme structurante
L’idée d’un statut du bailleur privé n’est pas nouvelle, mais elle prend aujourd’hui une dimension stratégique. Il s’agit de reconstruire un cadre simple, cohérent et attractif, permettant d’enrayer le déclin de l’offre locative.
Pour être efficace, ce statut doit d’abord offrir un amortissement significatif. L’hypothèse gouvernementale d’un amortissement de 3,5 % plafonné à 8 000€ ne changera rien aux comportements : un investisseur rationnel ne reviendra pas pour un avantage marginal. Les recommandations du rapport Daubresse–Cosson, un amortissement plus élevé dans le neuf et dans l’ancien rénové, ainsi qu’un relèvement du plafond de déficit foncier, forment un ensemble cohérent, capable de recréer une dynamique d’investissement vertueuse. Ces mesures ne constituent pas un cadeau fiscal, mais un mécanisme de rééquilibrage : elles permettent simplement de rémunérer le risque pris par le bailleur.
Au-delà de l’avantage fiscal, la stabilité est essentielle. Un statut est inutile s’il est révisé tous les deux ans. L’immobilier est un investissement de long terme : il doit être accompagné d’une politique de long terme.
Enfin, ce statut constitue un levier considérable pour la transition énergétique. En incitant à l’amortissement des travaux, il transforme naturellement les bailleurs en acteurs majeurs de la rénovation thermique. C’est un moyen efficace, réaliste et économiquement soutenable d’accélérer la transition écologique.
V. Les bénéfices attendus : une réforme gagnant-gagnant
Un cadre fiscal clair, stable et suffisamment incitatif produirait un effet multiplicateur immédiat. L’investissement locatif repartirait, entraînant la construction de nouveaux logements, la relance des chantiers et une amélioration de l’offre disponible.
À mesure que l’offre se reconstitue, les tensions sur les loyers se résorbent. Cela ne relève pas de la théorie : tous les marchés européens plus ouverts en sont la démonstration. À l’inverse, lorsque l’offre se contracte, aucune régulation ne peut empêcher la tension de s’installer.
La rénovation énergétique bénéficierait également de cette dynamique. Les bailleurs, réarmés fiscalement, seraient en capacité de moderniser leur parc, améliorant la performance énergétique nationale tout en réduisant les dépenses publiques consacrées aux dispositifs d’aide.
Enfin, ce statut contribuerait à fluidifier l’accès au logement, à soutenir la mobilité professionnelle et à réduire la pression sur le logement social. Il serait, en somme, une réforme profondément utile à la collectivité.
VI. Conclusion : une réforme fondatrice
La France souffre d’une contradiction historique : elle est l’un des pays les plus régulés et les plus fiscalisés d’Europe, mais elle n’a jamais eu aussi peu de logements disponibles. Le marché ne se répare pas en ajoutant des couches de contraintes : il se répare en rétablissant la capacité d’offrir.
Le statut du bailleur privé constitue l’un des leviers les plus puissants dont dispose le pays pour rétablir cet équilibre. Ce n’est pas un avantage accordé à une catégorie : c’est une politique publique de reconstruction du logement.
Le bailleur privé n’est ni un rentier ni un adversaire. Il est un partenaire indispensable.
Un pays qui décourage l’investissement ne construit pas ; un pays qui ne construit pas fragilise ses citoyens.
Il est temps de replacer l’investissement dans le logement au cœur d’un projet collectif : proposer un cadre fiable, durable et intelligible pour rebâtir l’offre, accélérer la rénovation et redonner de l’air à un marché sous tension.











